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Il faut se parler de ces nouvelles compétences

La déferlante de nouvelles technologies nous fait vivre des changements sans précédents. Aux technologies de rupture, il faut ajouter les nouvelles formes d’emploi et toutes les nouvelles méthodes de travail. Les nouvelles compétences et leur pénurie, tout le monde en parle. Mais de quelles nouvelles compétences parle-t-on ? Quand je rencontre des clients RH ou des amis, je leur pose cette question: Quelles sont les NOUVELLES COMPÉTENCES que ton entreprise recherche ? 

Cet article de 2100 mots en 1m30


Personne n’est surpris par la question. Mais un court délai de réflexion s’impose pour obtenir une réponse.

Dans la majorité des cas, la première réponse à ma question concerne les soft-skills. J’entends le plus souvent ceci:

Je ne sais pas si on recherche de nouvelles compétences. Mais on recherche de nouveaux profils.

Rares sont mes interlocuteurs qui citent d’emblée les compétences concernant les objets connectés (IoT) et la cybersécurité, les machines apprenantes (ML) et l’automatisation, le mobile et le Cloud, l’analytique prédictive et la technologie Blockchain.

Trop en avance ? Serions-nous encore sur une inflation de la pensée de consultants obnubilés par le futur et la nouveauté ? Que disent les gens de terrain à propos de la transformation qui touche tous les secteurs et tous les emplois ?

Avez-vous vu ces nouvelles compétences digitales ?

J’ai posé cette même question à un directeur d’une usine de maintenance aéronautique. Sa réponse m’a surprise :

‘Pendant trente ans dans l’usine, on a travaillé avec les mêmes méthodes et des procédés de fabrication, d’ajustement et de montage des pièces bien connus. Mais je peux vous dire qu’à chaque promotion de nouveaux diplômés, les apprentis arrivent avec leurs méthodes de travail et des outils personnels que l’on doit comprendre et marier avec nos méthodes. On favorise les techniques telles que les objets connectés et la programmation des robots, l’analytique embarquée et la maintenance préventive des pièces mais ils apportent une façon de travailler en groupe, un partage de l’analyse des problèmes, une façon d’apprendre autonome sur les forums ou l’utilisation de différentes messageries instantanées. C’est totalement différent de la façon dont la  majorité de notre effectif travaille’.

Une autre source de précise que certains opérateurs de montage en aéronautique utilisent aujourd’hui la programmation GPS pour poser les pièces au millième de millimètre.

En construction des bâtiments, les techniciens sur le terrain aident les maçons et les charpentiers à visualiser en trois dimensions les infrastructures et les travaux au millimètre prés (technologie BIM). Les changements sur plan sont facilement modifiables et retraçables. Résultats: les gains de temps dans la gestion des projets de construction sont de 30 à 50%. Demain, ils pensent utiliser les lunettes avec réalité augmentée pour lire le plan par-dessus la vue du bâtiment et recevoir des informations contextuelles et de la formation. La modélisation 3D, les drones, la réalité virtuelle et augmentée vont se combiner pour tout changer ici comme ailleurs.

Avec des dirigeants du commerce de détail, un secteur représenté en très grande majorité par des petites et moyennes entreprises, la réponse à ma petite question a suscité beaucoup d’émotions :

Il y a urgence à faire du commerce multicanal de détails. On doit faire de la gestion de site eCommerce, de la fidélisation et de la personnalisation via le marketing digital. Les achats doivent être pensés pour préserver l’exclusivité des produits en magasins. Il faut optimiser les flux tendus en entrepôts et renouveler l’expérience clients. Il est presque impossible pour le petit commerce de trouver toutes ces compétences ou de les rémunérer.

Vous aussi faites le test de la question des NOUVELLES COMPÉTENCES. Posez cette question à votre direction, à vos clients, à vos amis et aux recruteurs. Puis observez les réponses. Qu’est-ce que vous entendez dans votre domaine ? Est-ce que vos interlocuteurs sont inconscients, aveuglés, hésitants, confus ou lucides ?

Souffrons-nous du syndrome de la grenouille ?

Nous ne réalisons jamais bien l’ampleur des changements ambiants tant que nous ne sortons pas de notre système en évolution continue.

La grenouille plongée directement dans l’eau chaude s’en échappe immédiatement pour éviter d’être ébouillante. En revanche, la grenouille qui est plongée dans de l’eau froide puis qui chauffée ne réalise pas le changement progressif de température (puis elle meurt cuite).

Anesthésiés, nous prenons pour acquis certains changements et nous négligeons l’obsolescence des compétences. Nous minimisons l’impact et la préparation pour les prochains changements et les compétences requises.

Au fil de mes rencontres, j’ai compris que la formulation de la question des Nouvelles Compétences exerçait un blocage mental. J’ai donc décidé de formuler ma question comme suit: Depuis les 5 dernières années, quelles compétences sont davantage recherchées dans votre organisation ? 

J’ai ainsi obtenu des constats plus clairs sur l’état de compétences de la 4éme révolution industrielle. Tout le monde cherche le buzzword technologique quand on veut illustrer les nouvelles compétences. A part dans les start-ups, les entreprises technologiques et les entreprises de la nouvelle économie (Jeux-vidéo, FinTech, Web), cela se traduit rarement par des emplois bien identifiés ou par un besoin massif en nouvelles compétences.

1- Myopie

Avec moins de 5 ans de recul, on ne se rend pas bien compte quelles sont les compétences techniques, relationnelles et sociales qui marquent une vraie différence dans un environnement concurrentiel en expansion, dynamique et complexe. Pourtant, elles sont là.

C’est logique. Les nouvelles compétences ont fait leur entrée il y a 5 à 10 ans. Si l’on conserve 75% des emplois traditionnels dans les entreprises, il n’en reste pas moins que près de 25% des emplois sont nouveaux et que les méthodes et les outils de travail et les technologies ont traversé la plupart des emplois et continue de les transformer.

Le grenouille manque de lucidité car elle ne mesure pas tous les changements. Et la grenouille RH à tendance à se concentrer sur les Soft Skills quand les opérationnels mettent l’accent sur les Technical skills ou les Hard Skills. La grenouille inconsciente des profonds changements en cours va voir son espèce s’éteindre cuite au bouillon de la Robolution à laquelle d’autre se préparent.

2- Hybridation

Un autre phénomène bien décrit dans cette nouvelle économie digitale c’est l’hybridation des compétences.

  1. Les compétences traditionnelles se marient aux nouveaux outils puis évoluent vers de nouvelles façons de faire. En pleine transition vers la renaissance post-moderne, nous baignons dans une mixité digitale.

  2. Les nouvelles compétences naissent surtout à l’intersection de deux disciplines.

La médecine fait de plus en plus de Big Data. Les data scientistes qui étudient la durée de vie des organismes vivants sont recherchés en analytique prédictive de cycle de vie des clients dans le commerce en ligne. Les analystes de l’usabilité des jeux vidéos font de l’optimisation de site marchands avec l’expérience des internautes.

En fait, on entre dans une ère qui n’est plus liée aux Postes et à la Hiérarchie mais qui est rendue efficace et complexe avec des projets et la combinaison des meilleures compétences (internes / externes, salariés ou freelancers). On recherche les compétences dans la Gig Economie (économie à la pige) et les carrières sont une suite de mandats.

3- Hyperspécialisation

Les nouvelles compétences sont basées sur des outils, tes techniques ou des approches qui élargissent sans cesse le spectre des possibles. Chacune répond à un besoin spécifique, toujours plus pointu et contextuel. Il suffit de regarder le domaine des langages de programmation pour s’en convaincre.

Avec la fragmentation des connaissances et des compétences, s’ajoute l’émergence des Nouveaux Cols (New Collars Jobs en référence aux Blue and White Collars). Ces nouveaux cols sont des emplois qui ne nécessitent pas d’étude supérieures et qui peuvent s’apprendre en quelques semaines et jusqu’à deux ans. Les organisations pourraient à terme former une grande partie de la main d’œuvre pour ces emplois spécifiques. Ils reposent sur la maîtrise de technologies et techniques dont la durée de vie est de moins de 10 ans.

Comme le souligne le World Economic Forum, la durée de vie moyenne des compétences est passée de 30 ans en 1985 à 5 ans en 2020. Le marché de l’emploi est plus fragmenté et complexe que jamais.

Milestones in the digital evolution_Roland Berger_2017

Milestones in the digital evolution – Roland Berger – Trend Compendium 2030 – October 2017 – Page 24


Qu’est-ce qui vient avec la transformation digitale ?

Le corollaire à toute stratégie de transformation digitale est la transformation des emplois et des compétences.

On le dit et on le répète : il y a un enjeu majeur de pénurie de nouvelles compétences et un retard pris par les organisations dans le recrutement et le développement de ces nouvelles compétences. Le Skills Gap est un tsunami invisible.

Les RH doivent mettre au défi les opérationnels pour recruter des compétences nouvelles et des profils nouveaux. Elles ont la responsabilité de mesurer l’état des compétences et d’investir dans le virage individuel, d’équipe et organisationnel pour adopter les compétences qui seront toujours plus recherchées et distinctives.

Avec la 4éme révolution industrielle, vient une transformation numérique de l’économie et des organisations, une redéfinition de la notion de carrière et de l’emploi au profit des mandats et de l’emploi autonome et une transformation des compétences (hard skills et soft skills).

  1. 47% des emplois sont automatisables d’ici moins de 20 ans (source Oxford).

  2. 85% des CEO pensent que l’intelligence artificielle est en train de bouleverser les rapports de forces concurrentielles (source IBM).

  3. Le manque de compétences est une préoccupation croissante chez les exécutifs (CEO, CFO, COO, CMO et CHRO). Il ralentit la transformation digitale, réduit les gains de productivité et limite les revenus qui peuvent être réalisés avec des projets plus rentables.

Nous devons nous parler de ces nouvelles compétences. 

Alors il est temps de changer la discussion avec les décideurs à propos de ces nouvelles compétences.

Adresser les enjeux de rareté des compétences sur le marché du travail, de développement des compétences du digital et d’accélération de la transformation des talents est une priorité pour les RH dans le contexte de transformation. C’est une responsabilité. Les organisations ne doivent plus être de simples lieux d’exploitation des compétences (skills burn) mais des lieux pour révéler les potentiels, transformer les compétences et augmenter et les talents (growth mindset).

Sommes-nous « Future-Proof » ?

Quand on sait que la quasi-totalité des entreprises méconnaissent les compétences techniques, fonctionnelles et relationnelles acquises dans l’organisation par ses collaborateurs (nombre et niveau) et qu’elles ignorent totalement les compétences extra-professionnelles de leurs talents, on voit tout l’enjeu d’une transformation qui s’appuie sur un capital humain mal défini, faiblement mobilisé et traité avec des processus impersonnels ou administratifs. Comment staffer rapidement dans ses conditions ? Comment personnaliser les apprentissages ? Comment encourager l’apprentissage dans l’action si on traite des masses ? C’est l’antithèse de la transformation digitale.

Laisserons-nous l’écart de compétences et de talents se creuser ?

Si l’on veut maintenir un avantage compétitif et une différentiation, on doit s’appuyer sur un haut niveau de collaboration entre les machines (loin d’être totalement autonomes mais parfois surpuissantes) et l’humain. De cette complémentarité va naître de nouvelles capacités organisationnelles :

  1. Automatisation des processus (même ceux dits complexes),

  2. Expérience positive, distinctive et personnalisée,

  3. Augmentation de l’expertise.

A l’ère du digital et du cognitif, les robots, l’IA et les objets connectés ne se programment et ne se gèrent pas tous seuls, enfin pas encore. Il faut donc viser un développement des talents qui complémente et qui augmente l’humain: créativité & innovation, empathie & appartenance, autonomie, apprentissage continue, entrepreneuriat, intrapreneuriat, collaboration, partenariat, esprit analytique et critique, communication.

Nous sommes moins face à un défi de substitution des employés par la machine que devant le défi de créer de l’expertise, de l’innovation et du sens. C’est le défi de l’intelligence.

Quelques pistes pour transformer les compétences (et réduire les écarts) :

  1. Utiliser un référentiel de compétences techniques, compétences fonctionnelles et des compétences relationnelles et sociales ou en leadership pour identifier, mesurer et connaître les talents à l’instant T et visualiser les manques.

  2. Investir massivement dans le développement des compétences digitales en lien avec la transformation digitale. Cela ne veut pas dire de la formation en salle mais des plans individuels de développement (PID), des challenges, des expérimentations, du mobile-learning, du e-learning, du micro-learning, des activités de co-développement et de cocréation. Le développement devrait être offert comme un forfait données et voix illimité pour un smartphone.

  3. S’appuyer sur les communautés internes et externes pour faire circuler les nouvelles connaissances et pratiques et se former et encourager la collaboration via les nouveaux outils et une culture de collaboration de haut niveau.

  4. Communiquer ouvertement sur les compétences digitales et ses facteurs de distinction de l’organisation, sur les compétences recherchées et celles développées en interne.

  5. Favoriser la diversité, les mobilités et les changements de carrière plus fréquents avec des passerelles horizontales et diagonales.

  6. Miser sur le potentiel individuel et la responsabilisation dans le développement des compétences pour attirer, engager et retenir les talents et créer de la valeur.

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Pour prolonger cet article (déjà très long), je vous invite à lire la série d’interviews que Manpower Group France a réalisé avec plusieurs experts sur les fractures du numérique et ses compétences. Ces interviews s’inscrivent dans une réflexion du World Economic Forum de Davos 2018 #WEF18

  1. Faire de l’entreprise un lieu d’assemblage des compétences – Manpower Group France – World Economic Forum de Davos – Interview 23 janvier 2018.

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