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Votre gestion des talents a t-elle perdu sa psychologie positive ?

La psychologie positive est à l’origine de la gestion des talents. Sous la simplicité du terme « Talents » se cache pourtant des perspectives en psychologie positive bien différentes, qui sont au delà de la gestion bureaucratique et fonctionnelle des emplois et des compétences. Les organisations ne devraient pas l’oublier, au risque de toujours faire de la bonne vieille gestion du personnel, sans le dire.

Le mot « talent » est devenu très prisé depuis dix ans, au point où l’on dit maintenant « les talents » pour désigner les employés. Et les entreprises à la recherche de gains d’efficacité, d’innovation et de différentiation annoncent qu’elles s’engagent toutes dans l’approche par talents, souvent sans transformer la culture qui soustend la notion de talent. Pour en comprendre les concepts fondateurs venant de la psychologie positive, voici un rappel des origines de la gestion des talents.

L’histoire qui nous conduit jusqu’aux talents

Les critères explicatifs de la performance ont évolué depuis 1945. Tour à tour, le statut social, le niveau d’éducation, le quotient intellectuel puis les compétences ont assuré le rôle de meilleur prédicteur.

a) De l’intelligence aux compétences

En 1973, David McClelland révolutionne la pratique de la sélection du personnel en affirmant que l’unité de mesure qui prédit le mieux la performance au travail correspond aux compétences. Pour savoir si une secrétaire fera bien son travail, testez sa prise de note et sa dactylographie. Ne lui faites pas faire un test de QI.

Vingt ans plus tard, la gestion des compétences prend son plein essor en France avec Guy Le Boterf, qui propose une synthèse articulant les compétences tout au long du cycle de gestion des ressources humaines. L’accent est mis sur la gestion des emplois et sur les besoins organisationnels. On affine la mécanique de classification, de sélection et de formation des compétences.

Aujourd’hui, c’est au tour des talents d’apporter un autre niveau de lecture des ressources humaines. Plus complexe et plus globale, la gestion des talents renouvelle le langage « techniciste », analytique et pointilleux des ressources humaines pour accompagner les entreprises post-industrielles. Les nouveaux modèles organisationnels émergents misent sur l’agilité, l’aplatissement des hiérarchies et la responsabilisation.

Poussées par la rareté de certaines compétences sur le marché, le besoin de diversité des employés, une recherche de bien-être ainsi qu’une quête de différentiation, les entreprises communiquent avec des concepts positifs, engageants et facilitant l’identification de la personne dans un langage plus naturel que technique. Les maîtres à penser sont David Ullrich, Peter Cappelli ou encore Josh Bersin, dont les livres, articles ou analyses orientent les pratiques, les modes de gestion et les systèmes de gestion RH.

b) De la gestion technique des compétences à la gestion positive des talents

Influencée par la culture individualiste nord-américaine et par les théories de la psychologie positive, l’approche par talents pose un nouveau regard.

Portée dès 2000 par le psychologue américain Dr Martin Seligman, la psychologie positive s’attarde à cibler les variables qui influent sur les aspects positifs de l’être humain (bonheur, courage, résilience, satisfaction, sentiment de compétences, empathie, flow, etc.) dans le développement de l’enfant, la santé, l’éducation et le travail. Cette approche se détourne de la recherche des causes et de remèdes aux dysfonctions comportementales et aux pathologies. 

 La psychologie positive énonçe trois principes de management

  1. C’est en misant sur les dispositions naturelles des individus que l’on obtient de plus grands résultats et un meilleur engagement pour chaque individu.

  2. C’est en travaillant sur les forces que le potentiel de développement est le plus grand.

  3. C’est en attirant les meilleurs talents que les organisations trouvent des moyens de se différencier sur le marché.

L’institut de sondage américain Gallup mène une étude récurrente sur la satisfaction au travail en croisant les réponses de deux millions d’Américains concernant l’utilisation de leurs forces au travail. Dès 2002, Gallup montre que seulement 20 % ont répondu positivement. Depuis, Gallup continue de publier des recherches saisissantes sur l’impact de l’approche par les forces (strengths-based management). Les entreprises chez qui les employés ont l’occasion d’utiliser leurs talents tous les jours démontrent qu’elles obtiennent une productivité deux fois plus grande, de même que davantage de loyauté, de fidélité et de satisfaction des clients. Au total, neuf indicateurs de performance encouragent les entreprises à s’engager dans une gestion par les forces.

Différences entre habileté, compétence et talent

  1. Habileté = Capacité à énoncer une réponse efficace et stable pour atteindre un objectif précis = Expression verbale

  2. Compétence = Combinaison d’habiletés permettant d’atteindre un résultat dans un contexte donné = Argumenter

  3. Talent = Intégration de compétences, de préférences personnelles et de dispositions naturelles s’exprimant dans différents contextes = Influencer


Le travail n’est plus le même

Dans un environnement peu prévisible ayant un rythme de changement rapide, la gestion de talents répond à de nombreuses préoccupations.

a) Le savoir n’est plus signe de pouvoir

Les flux d’information rendent les connaissances plus rapidement obsolètes. Le savoir s’appuyait auparavant sur la mémoire. Aujourd’hui, le travail devient une recherche et une vérification des sources (fact checking).

b) Les savoir-faire sont en pleine transformation  

Pour la quasi majorité des travailleurs, on assiste à des vagues successives de technologies de rupture et des mutations des modèles d’affaires qui conduisent à un découpage mondial du travail et à la transformation numérique des filières et la numérisation des milieux de travail.

c) La performance passée n’est plus garante de la performance future 

Sait-on réellement quelles compétences seront nécessaires à moyen terme ? Pour des emplois bien définis et pratiques, les compétences demeurent une unité de gestion importante dans l’ère industrielle du travail. On cherchera à trouver des candidats qui ont déjà démontré qu’ils peuvent exécuter les tâches avec succès ou occuper des emplois identiques avec un bon niveau de performance.

Pour la plupart des travailleurs professionnels et cadres, le travail sollicite toutefois des combinaisons de compétences et des forces (talents) selon des contextes changeants (mandats, contrats, projets).

Dans ce contexte, on cherchera à découvrir des candidats qui montrent des talents pour embrasser adéquatement des contextes évolutifs ou des problématiques transversales, plutôt qu’accomplir des tâches circonscrites et standardisées.

d) Une extension du monde du travail 

Plus l’économie du savoir devient sophistiquée (recherche, innovation, création), plus les frontières du travail sont étendues (collaborations, partenariats). De la même manière, plus le travail est exposé aux transformations numériques (technologies), plus la valeur prédictive des compétences est neutralisée. La personnalité, les attitudes et les forces naturelles d’un individu prédisent mieux la performance et la réussite. C’est pourquoi ces critères prennent une place grandissante dans ce que les entreprises recherchent et qu’elles nomment « talents ».

Une approche ne remplace pas l’autre ; elle la complète.

C’est pourquoi certaines organisations finissent d’implanter l’approche par compétences tandis que d’autres expérimentent l’approche par talents. La maturité d’une organisation dans une des deux approches est peut-être plus importante qu’une gestion mal implantée, sous-exploitée et mal comprise.

Les principes fondateurs de la gestion des talents 

a) Une connaissance globale et dynamique des individus

La gestion des talents exige de savoir lire l’autre, avec ses dispositions naturelles, ses styles cognitifs, sa personnalité, ses valeurs et intérêts, et ce, comme un tout. Les compétences qui segmentent l’individu en tranches pour coller à une analyse de poste ne traduisent que partiellement les combinaisons complexes et changeantes des compétences requises pour répondre aux exigences du milieu de travail. Les descriptions de postes, ces outils puissants de standardisation du taylorisme, sont en déclin pour la plupart des travailleurs du savoir6.

b) Maximiser les forces de chacun dans son milieu

La gestion des talents vise à valoriser et à combiner la valeur de contribution de chacun dans une organisation. En connaissant mieux chaque contributeur et en prenant des décisions de gestion qui exploitent la connaissance des forces et des limites de ses employés, le manager développe un engagement affectif plus grand ainsi qu’un lien de confiance. De même, la composition d’équipes de direction ou d’équipes projets dites performantes donne de meilleurs résultats quand elles reposent sur les talents complémentaires et quand les talents sont nommés et utilisés par tous. La synergie des talents et leur diversité dans les groupes de travail sont recherchées.

c) Miser sur la personnalisation 

La gestion du capital humain s’affine pour personnaliser le travail et stimuler la performance ainsi que l’engagement au plus proche de l’individu. Les RH comme les managers se consacrent donc davantage d’une part à connaître l’individu et à savoir comment ce dernier peut contribuer à l’organisation avec plaisir et en utilisant ses forces et, d’autre part, à définir des parcours de carrière qui valorisent les talents plus que les diplômes ou une compétence acquise. Si un directeur financier est un excellent négociateur et communicateur, pourquoi ne deviendrait-il pas directeur des ventes ou DRH ? Les organisations qui s’engagent dans la gestion des talents cherchent moins à poser un cadre générique et rigide d’attentes managériales ou des normes procédurales et d’atteinte réglementaire de niveau de maîtrise. Au contraire, elles cherchent plutôt à maximiser la valeur de contribution de chaque individu. Les entrevues de performance annuelle sont d’ailleurs en déclin. Trop lourdes et normatives plus que mobilisatrices, ces pratiques de management sont largement remises en question au profit de rencontres plus fréquentes et informelles.

d) Changer le management

La gestion des talents n’est pas seulement un concept RH, comme l’est beaucoup trop celui de la gestion des compétences. Les managers doivent apprécier les forces de leurs employés, donner de la rétroaction en continu, encourager la connaissance de soi, s’intéresser à la satisfaction au travail, composer les équipes, favoriser des discussions sur les améliorations et aussi pratiquer la reconnaissance en se basant sur les talents. Un manager qui gère les talents de ses employés obtiendra un engagement plus grand ainsi qu’une meilleure performance.

e) Devenir un attracteur puissant 

Quand une organisation communique qu’elle pratique la gestion des talents, cela suppose qu’elle identifie, valorise, développe et reconnaît les individus pour leurs talents et qu’elle les aide à en faire des forces sur le marché. Progresser avec plaisir et dans la variété est justement ce que recherchent les plus jeunes générations. Mieux, si elles arrivent à détecter les talents avant les autres — voire avant l’individu lui-même —, ces organisations peuvent tirer profit d’une ressource en pleine croissance. En outre, communiquer sur les talents de ses employés est plus percutant autant auprès des clients de la marque que pour valoriser les employés eux-mêmes. Une culture de gestion des talents se décline donc en interne comme en externe.

La gestion des talents a t-elle perdu sa psychologie positive _FutursTalents_Blog_RH_Jean-Baptiste_Audrerie_Juillet 2017

La gestion des talents a t-elle perdu sa psychologie positive _FutursTalents_Blog_RH_Jean-Baptiste_Audrerie_Juillet 2017


Ce que l’approche par les talents change 

Bien sûr, les compétences demeurent un niveau de détail pertinent pour mesurer le capital humain et couvrir les besoins techno-structurels des organisations (évaluation de postes, plan de formation, rémunération).

Mais l’émergence du concept de talent suppose de revoir plusieurs pratiques en RH et en management. Les organisations au sommet des meilleures pratiques de gestion des talents alignent des principes simples de gestion des talents avec des pratiques novatrices.

La rhétorique des talents peut aussi cacher d’autres réalités et faire émerger des critiques.

  1. La ligne est mince entre le fait de chercher les meilleurs talents sur le marché et le meilleur de la personne. Une approche responsable et une communication équilibrée sont à développer.

  2. Si on attire en masse les talents de personnes qui sont des apprenants naturels et des personnes agiles, on peut économiser sur l’effort de formation. En allant chercher les dispositions stables et intrinsèques des individus, on va directement puiser dans le bassin de ressources, ce qui est plus difficile à développer. Les organisations peuvent donner le sentiment qu’elles se désengagent d’être un lieu où se forgent dans le temps les compétences, l’éthique de travail et les personnalités. Les organisations deviennent donc des lieux d’expression de ces talents. La valeur d’une organisation n’est-elle pas aussi d’être un lieu d’éducation et de modelage social et comportemental, alors que les talents se font rares, que les compétences sont rapidement obsolètes et que certains individus peuvent plus rapidement être exclus du monde du travail ?

  3. Portés par les individus, les talents sont révélés et valorisés par une chaîne d’expériences et de personnes qui encouragent leur expression et leur développement. L’approche par talents se montre parfois très personnaliste et individualiste. Mais ce qui fait la force des organisations demeure la collaboration et la cohésion des compétences et des talents. Elles permettent de développer une intelligence collective qui est plus que la somme des individus qui ne seraient que de passage pour poursuivre leur développement personnel.

Références

  1. David McClelland (1973). « Testing for Competence Rather Than for “Intelligence” », dans American Psychologist.

  2. Guy Le Boterf (1994). De la compétence. Essai sur un attracteur étrange, Paris, Éditions d’Organisation.

  3. James K. Harter, Frank L. Schmidt, Corey L. M. Keyes (2002). Well-Being in the Workplace and its Relationship to Business Outcomes: A Review of the Gallup Studies, dans Gallup (http://media.gallup.com/documents/whitePaper–Well-BeingInTheWorkplace.pdf)

  4. Le questionnaire de Gallup pose 12 questions à près de 2 millions d’employés. La question Q3 est formulée ainsi : « Au travail, j’ai l’opportunité chaque jour de faire ce que je fais de mieux. » La dernière analyse a été publiée en 2012 : James K. Harter, Frank L. Schmidt, Sangeeta Agrawal et Stephanie K. Plowman (2012). The Relationship Between Engagement at Work and Organizational Outcomes, 2012 Q12 Meta-Analysis, dans Gallup (http://www.gallup.com/services/177047/q12-meta-analysis.aspx). 

  5. Peter F. Drucker (1959). The Landmarks of Tomorrow, Harper and Row.

Note

Cet article a été initialement publié dans la revue Afnor en Juillet 2015. Il est présenté ici dans une version écourtée et mise à jour.

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Jean-Baptiste Audrerie est psychologue organisationnel depuis 22 ans, titulaire d’un M.B.A., conseiller exécutif pour IBM Kenexa & Watson Talent au Canada et auteur de ce blogue RH. Il accompagne ses clients dans leur transformation digitale et cognitive de l’attraction, l’acquisition, l’engagement et le développement des talents.

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